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Vendredi 17 décembre 2010 à 12:37


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De Albert Camus. Aurait aussi pu s'intituler "Pourquoi de la constatation de l'absurdité de ce monde ne peut pas résulter le suicide". Je me suis dis que si j'avais été psychologue, et j'aurai adoré l'être (mine à gossips quand même, super excitant si on bosse dans un arrondissement chic), j'aurai fait lire ce livre à des adolescents suicidaires, en quête d'un sens à la vie.

Petite sélection.

"Il n'y a qu'un problème philosophique vraiment sérieux: c'est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d'être vécue, c'est répondre à la question fondamentale de la philosophie".
Face à ce problème, il peut sembler secondaire de se demander si la démocratie représentative vaut la démocratie directe. La question du suicide est en effet immédiate, ou ne peut s'y attarder toute une vie, ni en fournir une réponse approximative ou encore dubitative. Il n'y a que deux alternatives possibles, oui, ou non.

"Commencer à penser, c'est commencer d'être miné". L'ennui est la cause de la dépression, j'en suis persuadée. Déprimer, c'est trop facile, qu'on a tous des raisons enfouies dans notre enfance pour être malheureux. Mais les brandir avec fierté, du genre "Ah! J'ai le droit de déprimer tu vois bien, plains-moi et signes-moi ce congé maladie pour 'dépression' ", tout ça c'est trop facile. L'époque moderne a sacralisé la dépression, l'a érigée comme une vraie maladie. La dépression est cette étape première de la réflexion sur le sens du monde. Elle est nécessaire, respectable. Mais certains en ont abusé, et l'utilisent comme prétexte pour rester chez eux à se morfondre. Le mot 'dépression" est devenu un argument final, auquel il serait inconvenant de répondre autre chose que "Oh...". "-Tu comprends, elle est en dépression", "-Oh...". En général, on ajoute une explication (qui n'en n'est pas une). Du genre "Tu comprends, elle est en dépression, elle n'a pas supporté le divorce de ses parents quand elle avait 25 ans", ou "Tu comprends, elle est en dépression, elle vit mal le fait que sa belle-soeur soit enceinte alors qu'elle essaie de l'être depuis 10 ans (quelle salope cette belle-soeur, exhiber ainsi sa grossesse)".

La dépression est notre mal du siècle. On a inventé ce concept pour justifier notre feignantise. Le vrai problème est que nous sommes blasés. A l'époque où l'homme travaillait aux champs, il n'avait pas le temps de réfléchir sur le sens du monde. D'autres priorités plus urgentes l'en empêchait, l'en détournait. La dépression était alors affaire des nobles: tous étaient blasés. Ils inventèrent alors un concept propre aux gens riches: l'amour. Alors que les pauvres se mariaient par nécessité, les riches eurent l'indécence d'inventer la passion amoureuse. Extra-conjugale,  puisque les mariages étaient encore arrangés. Ces affaires de tromperies occupaient leur temps. Cela est vrai moins des Grecs, qui avaient eu le bon goût de combler leur ennui par l'invention de la politique. La lecture de Laclos ou de Molière conforte cette idée: le noble, puis le bourgeois, s'ennuie. Il comble cet ennui en s'élaborant une vie sociale.

Puis viennent les poètes qui, associables, se morfondent sur leur ennui et broient du noir, du gris foncé, et du bleu marine. Le poète est incompris, puisque lui seul a appréhender le non-sens de vivre. Il s'agit de Baudelaire, de Chateaubriand. L'absurde est alors appelé le Spleen. Pour combattre ce Spleen, la débauche, l'écriture. Des remèdes différents pour un seul et même mal: l'ennui.

Revenons à Camus. "Commencer à penser, c'est commencer d'être miné. La société n'a pas grand chose à voir dans ses débuts. Le ver se trouve au coeur de l'homme". Intéressante métaphore, l'homme est une pomme pourrie, rongée par les vers avant même sa mort. Ou plutôt, l'homme est destiné à pourrir, car il contient ce ver, qui peu à peu le ronge.

"Ce jeu mortel qui mène de la lucidité en face de l'existence à l'évasion hors de la lumière". Un jeu mortel, car à partir de ce moment X où l'homme commence à douter, à douter de la cohérence du monde, ce doute ne le quitte plus jamais (Camus aurait-il inspiré le scénariste d'Inception...?). A partir du moment où l'homme rentre dans ce jeu, dans cette quête de compréhension, il quitte le monde des apparences, le monde de la  lumière. Il s'isole, il s'éloigne, prend de la distance par rapport à tout ce qui l'entoure, à tout ceux qui l'entourent. Le monde est le même. Mais l'angle de vue à changé. Cette prise de distance, "ce divorce entre l'homme de sa vie, l'acteur et son décor, c'est proprement le sentiment de l'absurdité". L'acteur et son décor... Matrix aurait-il un lien avec Camus? Amusant, tous ces films qui traitent du même sujet, le sens de la vie, l'absurdité du décor, dont nous admettons la réalité et la cohérence sans se questionner. L'absurdité est donc un thème qui nous intéressent tous, qui nous tourmente, que nous tentons encore d'expliquer, par Dieu avant, par Matrix maintenant. Dans tous les cas, une recherche de sens, d'explication.

"Se tuer, [...] c'est avouer. C'est avouer qu'on est dépassé par la vie ou qu'on ne la comprend pas. [...] C'est seulement avouer que cela 'ne vaut pas la peine' ". Pourtant, "parmi les penseurs qui refusèrent un sens à la vie, aucun, sauf Kirilov, [...] n'accorda sa logique jusqu'à refuser cette vie. On cite souvent, pour en rire, Schopenhauer qui faisait l'éloge du suicide devant une table bien garnie". Ainsi, douter du sens du monde, en affirmer l'absurdité, ne doit pas nécessairement conduire au suicide, au refus de la vie. Si la vie est absurde, n'est-il pas tout autant absurde d'y mettre un terme? Pourquoi vivre? Mais pourquoi mourir aussi. Kirilov est un personnage des Possédés de Dostoïevski. Il se suicide, c'est sa révolte face à l'absurde. Pourtant ce personnage, de fiction, est une exception. Les autres penseurs du sens de la vie n'en sont pas arrivé à la conclusion qu'il faut mettre un terme à notre existence. Schopenhauer est le seul, mais il contredit son idée par ses actes, puisqu'il ne se suicide pas. C'est l'aveu de son doute.

Cette pensée est ainsi résumée: "On a jusqu'ici joué sur les mots et feint de croire que refuser un sens à la vie conduit forcément à déclarer qu'elle ne vaut pas la peine d'être vécue". L'absurde ne conduit pas au suicide, ne doit pas y conduire. Encore, il est tout aussi absurde de vivre que de décider de mourir en révolte à cette absurdité.

Il nous arrive à tous un jour, au milieu d'une journée pénible et agitée, de nous arrêter un instant. De regarder le monde autour de nous, les gens qui courent, qui vont quelque part, qui ont un but. Alors on s'étonne. Pourquoi court-il, ou va-t-elle, pourquoi s'agitent-ils, quel sens à tout cela. La conclusion de l'absurde vient à nous. Pourquoi font-ils tous semblant de ne pas voir, de ne pas savoir, que tout ceci est absurde. Pourquoi ne s'assissent -?- -ils tous pas avec moi, pourquoi ne se rendent-ils pas compte. Tout commence par un détail, ce détail qui fait s'installer en nous le doute, qui réveil la faim ce "ver" en nous. "Toutes les grandes actions et toutes les grandes pensées ont un commencement dérisoire. Les grandes oeuvres naissent souvent au détour d'une rue ou dans le tambour d'un restaurant. Ainsi de l'absurdité. Le monde absurde plus qu'un autre tire de sa noblesse cette naissance misérable. Dans certaines situations, répondre: "rien" à une question sur la nature de ses pensées peut être une feinte chez l'homme [...] la chaîne des gestes quotidiens est rompue, [...] elle est alors comme le premier signe de l'absurdité]".

"Un jour seulement, le 'pourquoi' s'élève et tout commence dans cette lassitude teintée d'étonnement". Un étonnement du monde: pourquoi ce mur, pourquoi cette maison, pourquoi, pourquoi tout. C'est s'apercevoir que le monde est épais, s'apercevoir de l'incompréhensibilité du monde, de notre distanciation par rapport à lui. De ce brouillard qui nous empêche d'être lucides. "Cette épaisseur et cette étrangeté du monde, c'est l'absurde". "Cette 'nausée', comme l'appelle un auteur de nos jours, c'est aussi l'absurde". Il s'agit bien sûr de Sartre. Ennui, chagrin d'amour, spleen, absurde, nausée: autant de mots pour de mêmes maux (eheh).

"On ne s'étonnera cependant jamais assez de ce que tout le monde vive comme si personne 'ne savait'". Suis-je le seul à me rendre compte? Suis-je moi aussi un poète maudit? Pourquoi le monde continue-t-il à tourner alors que je viens de réaliser son impertinence?

Aristote fut-il le premier penseur à découvrir l'absurdité du monde? Intéressante démonstration de cette absurdité: "Depuis des siècles, personne n'a donné de l'affaire une démonstration plus claire et plus élégante que ne le fit Aristote: "La conséquence souvent ridiculisée de ces opinions est qu'elles se détruisent elles-mêmes. Car en affirmant que tout est vrai, nous affirmons la vérité de l'affirmation opposée et par conséquent la fausseté de notre propre thèse". En clair, dire que "tout est vrai" sous entend que l'affirmation "tout est faux" est vraie aussi. Notre "tout est vrai" initial devient faux.

Absurdité également de nos connaissances. La science peut sembler être une alternative à cette conclusion de l'absurdité du monde. Pourtant, rien de plus absurde que la science. "Vous énumérez ses lois et dans ma soif de savoir je consens qu'elles soient vraies", "Mais vous me parlez d'un invisible système planétaire où des électrons gravitent autour d'un noyau. Vous m'expliquez ce monde avec une image. Je reconnais alors que vous en êtes venus à la poésie: je ne connaitrai jamais. Ai-je le temps de m'en indigner? Vous avez déjà changé de théorie. Ainsi cette science qui devait tout m'apprendre finit dans l'hypothèse, cette lucidité sombre dans la métaphore, cette incertitude se résout en oeuvre d'art. Qu'avais-je besoin de tant d'efforts?", "Je comprends que si je puis par la science saisir les phénomènes et les énumérer, je ne puis pour autant appréhender le monde. Quand j'aurais suivi du doigt son relief tout entier, je n'en saurais pas plus". J'ai juste envie de dire "woaw". Je suis admirative. En quelques phrases, Camus démontre que tout ce que j'ai appris depuis 20 ans n'est qu'incertitudes et absurdités. Et je le crois. Hors sujet, mais quelle étrange sensation que d'appréhender cette absurdité du monde alors que de ma fenêtre ouverte j'entends le muezzin (qui ne serait pas trop trop d'accord avec Camus hein).


Pour finir. "Les expériences ici évoquées sont nées dans le désert qu'il ne faut point quitter", "A ce point de son effort l'homme se trouve devant l'irrationnel". "L'absurde nait de cette confrontation entre l'appel humain et le silence déraisonnable du monde". Cette image de l'homme seul dans le désert, qui rappelle le petit prince lui aussi seul dans le Sahara (et je ne crois pas que cette comparaison soit irrelevant), symbolise cette prise de distance avec le monde. L'homme doit s'isoler pour en appréhender l'absurdité.

Au prochain chapitre, la solution alternative au suicide, une fois l'absurdité du monde acceptée.
"Si je tiens pour vraie cette absurdité [...] je dois tout sacrifier à ces certitudes et je dois les regarder en face pour pouvoir les maintenir. Surtout je dois leur régler ma conduite et les poursuivre dans toutes leurs conséquences. Je parle ici d'honnêteté".

Dimanche 15 août 2010 à 17:22

Ce pourrait être le nom d'un nouveau parfum Hermès, aux connotations nostalgiques d'une Indochine regrettée. "Ah, les colonies... soupir". 

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